Une lettre de Poilu

René Pigeard, originaire de Bourgogne, avait 22 ans lorsqu’il a participé à la bataille de Verdun. Cette lettre a été écrite à ses parents peu de temps après une permission*.

 

Le 27 août,

Quel bonheur de nous être retrouvés sans être à la merci d’un morceau de métal ! [...] Etre des heures sans entendre un sifflement d’obus au-dessus de la tête, pouvoir s’étendre de tout son long sur de la paille, avoir de l’eau propre à boire après s’être vus, comme des fauves, une dizaine autour d’un trou d’obus à nous disputer un quart d’eau croupie, vaseuse et sale ; pouvoir manger quelque chose de chaud à sa suffisance, quelque chose où il n’y ait pas de la terre dedans [...] ... pouvoir se débarbouiller, se déchausser [...] ...

Sachez qu'ici, de chaque côté des lignes, sur une largeur d’un kilomètre, il ne reste pas un brin de verdure, mais une terre grise de poudre, sans cesse retournée par les obus, des blocs de pierre cassés, émiettés, des troncs déchiquetés, des débris de maçonnerie qui laissent supposer qu’il y a eu là une construction, qu’il y a eu des « hommes »... Je croyais avoir tout vu à Neuville**. Eh bien non, c’était une illusion. Là-bas, c’était encore de la guerre : on entendait des coups de fusil, des mitrailleuses, mais ici à Verdun, rien que des obus, rien que cela ; […] des lambeaux de chair qui volent en l’air, du sang qui éclabousse... Vous allez croire que j’exagère, non. C’est encore au-dessous de la vérité. On se demande comment il se peut que l’on laisse faire de pareilles choses. [...]

J’espère aller bientôt vous revoir, et on boira encore un coup à la santé de votre poilu qui vous embrasse bien fort.

René Pigeard

* autorisation de quelques jours de quitter le front pour rendre visite à sa famille, ses proches à l'arrière.
** commune des Ardennes, non loin de Verdun.


SOURCE : D'après René Pigeard, in Jean-Pierre Guéno, Yves Laplume (dir.), Paroles de poilus, lettres de la Grande Guerre, Paris, Tallandier « Historia », 1998, p.38-39

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